POUR ERIC.

Cher Eric,

A priori, nous n’étions pas faits pour nous rencontrer.
Nous n’habitions pas le même quartier... Nous n’appartenions pas au même univers professionnel... Nous ne votions pas pour le même parti...
Seulement voilà : il y eut le Comité des Bruyères, un petit comité de quartier, qui plus tard allait être reconnu par Le Vif-L’Express comme un modèle de citoyenneté.

Fondé dans les années 90 par Guy Van Craynest pour riposter au projet des Cimenteries d’avaler un long tronçon de notre rue, le Comité allait ensuite devoir lutter contre l’implantation du centre de tri d’Itradec. Un front dans le bas de la rue, un autre dans le haut. Quel programme !

Comment tu arrivas dans le Comité, toi qui n’habitais pas dans la rue, je n’en ai plus le moindre souvenir. Mais tout de suite, tu fus le plus combatif d’entre nous.

Un moment, tu pris même du recul par rapport à nous parce que tu estimais que nous n’étions plus assez énergiques. Jusqu’au jour où tu appris que nous allions au Conseil d’Etat... On te vit revenir dare dare, épée au vent, prêt à en découdre.

La combativité, c’était ta première qualité. C’était aussi ton carburant.

Mais ta combativité, tu la mettais toujours au service d’une cause qui te paraissait juste. Formé à l’école du socialisme, tu pratiquais tout naturellement une autre qualité, qui pour toi allait de soi : la solidarité. Une solidarité chaude, fraternelle, que tu considérais comme la vertu la plus importante, la plus haute de l’être humain.

Bien avant de la pratiquer dans le cadre du Comité, tu l’avais déjà mise en œuvre dans le syndicalisme, jour après jour dans ton entreprise, ou dans les moments de crise aux côtés de ton ami Roberto.

Quand Guy dut se résoudre à abandonner, pour raisons de santé, la présidence du Comité, c’est spontanément à toi que nous avions confié cette responsabilité. Et nous ne l’avons jamais regretté. Car à ce poste, tu manifestas vite d’autres qualités. Et d’abord celle de l’accueil. Il te semblait tout naturel de nous recevoir dans ta maison pour nos réunions, autour d’un verre de St-Feuillien (pour les moins sobres) ou d’eau gazeuse (pour les autres). Tu passais d’ailleurs une partie de ton temps à aller ouvrir la baie vitrée au chat, qui rentrait et sortait sans arrêt.

Ces réunions, tu les préparais avec une minutie que je n’ai jamais rencontrée ailleurs. Non seulement l’ordre du jour mais les questions que tu voulais nous poser, chaque réponse que tu proposais d’apporter, les gens que tu souhaitais voir, etc... Et tu prenais note de tout. Cette minutie témoignait de deux autres de tes qualités.

D’abord ton souci démocratique de tout décider ensemble, à l’unanimité, jusque dans les moindres détails. Jamais un courrier ne partait sans que tu nous aies fait corriger le fond et la forme (c’était le travail des deux Jean, comme tu nous l’avais redit jeudi lors de notre dernière réunion) et sans que tu n’aies demandé l’accord de chacun.

Ta minutie témoignait aussi de ta capacité à gérer les dossiers complexes. Tu lisais de la 1e à la dernière ligne les études d’incidences, les plaidoiries de notre avocat, les mémoires en réplique, bref une littérature où plus d’un se serait égaré. Et tu ne laissais rien passer. Tu débusquais tout ce qui était important ou significatif pour nous. Tu décortiquais les arguments des uns et des autres. Quelle perspicacité ! Comme l’écrit notre avocat « La lucidité de M. Eric Dubois dans ce dossier était remarquable et nous manquera, hélas ».

Et quelle capacité de travail aussi ! Tu ne mégottais pas ton temps, au point que je me demandais parfois si tu ne travaillais pas à temps complet, en catimini, pour le Comité..., salaire en moins bien sûr.

Si on te l’avait fait remarquer, que c’était du joli pour un syndicaliste de travailler sans être payé, je suis sûr que tu aurais éclaté de rire. Car ce que personnellement je retiendrai d’abord de toi, c’est ton humour, un humour contagieux, qui atteignait son sommet quand il visait ironiquement tes adversaires.

Mais ton travail ne se limitait pas à la défense du quartier. Tu voyais loin. Tu avais compris que la meilleure solution, c’était le « zero waste », comme tu disais, le « zéro déchet ». Et tu prenais ton bâton de pèlerin (ou plutôt ton Power point) pour aller voir tel ministre, telle échevine, tel chef de groupe et leur expliquer que c’était ça qu’il fallait faire.

Ton bâton de pèlerin, tu l’avais pris aussi pour aller à la rencontre de nos amis parisiens confrontés au même problème. Au cours d’une réunion publique mémorable, tu t’y étais taillé un franc succès, mettant comme toujours les rieurs de ton côté.

Tout ce travail avait fini par payer. Après une 1e victoire au Conseil d’Etat, nous avions appris, il y a 3 semaines, que nous avions gagné notre 2e recours. Ce fut sûrement ta dernière joie. Si notre avocat avait pu être aussi performant, ce n’était pas seulement à cause de ses qualités professionnelles mais aussi grâce aux tiennes. Et, comme je me suis efforcé de le démontrer, Dieu sait si tu en avais ! Maintenant tu peux bien nous l’avouer, Eric : tu étais anormalement doué !

On dit souvent, en ces circonstances : « Ce sont les meilleurs qui s’en vont ». Mais cette fois, c’est la vérité. Tu étais le meilleur d’entre nous, Eric. Et tu es parti bien trop tôt.

La conclusion, je voudrais la laisser aux deux plus jeunes membres de notre Comité :
      Celle de Julien : Eric restera pour moi un véritable militant, dans toute la grandeur et la noblesse du mot, avec cette volonté de changer le monde de manière durable.
      Et celle de Lionel : Tu as été et tu resteras, pour nous tous, un exemple de vie.


Bravo, Eric, et merci !   Avis nécrologique